
En marge du voyage de Napoléon 1er dans l’ouest en 1808, son valet de chambre, Louis Constant Wairy di Constant, consignait scrupuleusement les évènements dont il était informé ou le témoin. L’épisode de la pie de Thouaré, rapporté ci-après, emprunté aux « mémoires de Constants » présente essentiellement un intérêt anecdotique mais mérité d’être rapporté.
« A trois lieues de Nantes, avant d’y arriver, à une demie-lieux de la Loire, s’élève à mi-côte un village qui a pour nom Thouaré-sur-Loire.
Là florissait, il y a quelques années, une Pie de la plus haute distinction, une Pie appelée Margot dont la mémoire mérite d’être consacrée dans le Panthéon des animaux célèbres. Elle était commensale du Juge de Paix du lieu et vivait dans la meilleure intelligence avec sa servante.
Monsieur le Juge de Paix, très friand de canards, en possédait une couvée que l’on mettait à paître dans les champs, pour qu’un exercice salutaire et une nourriture abondante et économique les entretinssent en bonne santé.
Ce fut d’abord la servante qui, à ses loisirs, surveillait les canards, et Dame Margot accompagnait fidèlement son amie. La servante fit une remarque. La Pie était toujours à la porte du poulailler à l’heure fixée pour la promenade. Un jour que la servante fut obligée de revenir sur ses pas, quelle fut sa surprise quand elle vit que sa paisible cavalcade s’acheminait comme de coutume sous la seule conduite de Margot, qui de son bec piquait les canards retardataires pour hâter leur marche !
Le lendemain, elle essaya de la laisser sortir sans elle. La pie prit le commandement du troupeau et dès lors elle fut chargée de conduire les canards aux champs d’où elle les ramenait le soir.
Mais les canards n’étaient point pour Monsieur le Juge de Paix de vains objets de luxe : c’était l’espoir de sa broche, et comme ils avaient acquis un degré d’embonpoint fort raisonnable, la Reine Margot vit successivement diminuer le nombre de ses sujets.
Son cœur monarchique subit toutes ces épreuves avec une rare fermeté, et quand il ne lui resta plus qu’un canard à conduire aux champs, celui-ci devin son ami. Elle le conduisait et le ramenait avec la même ponctualité.
Cependant, Monsieur le Juge de Paix, sans pitié pour son prochain, ayant ordonné que le dernier de la couvée suivit ses frères sur la table, la servante se mit en devoir d’exécuter cet ordre barbare. Alors Margot, se livrant à son juste courroux, s’élança sur la servante, de son bec et de ses griffes, lui mit au visage tout en sang, prit son vol et disparut sans qu’on ne l’ait jamais revue.
Que pensez-vous de cela ? pour moi si la métempsycose (réincarnation) existe, que je sois changé en canard et que je m’en souvienne de la Pie de Thouaré-sur-Loire, il est bien certain que je convoquerai les plus notables de ma nouvelle espèce et je leur proposerai, à l’aide d’une souscription, de faire ériger à Margot un beau monument, sur le fronton duquel on lira : Aux grandes Pies le Canards reconnaissant ».